Collectif de Professionnels et de Patients pour la Refondation de la Santé

(le CPPRS)

 

Réforme de la formation initiale et continue

 

1/ Réforme de la formation initiale

Force est de constater que les études médicales comme les études en soins infirmiers sont trop souvent à l’origine d’une démotivation des étudiants n’y trouvant pas la réalisation de leur aspiration humaniste initiale. Trop souvent également, ils et elles constatent que leurs études ne les préparent pas ou les préparent mal à l’exercice de leur métier faute de les confronter suffisamment à la pratique, les « mains dans la pâte ». Cette défaillance s’explique en grande partie par un découplage entre l’enseignement théorique et l’apprentissage pratique et par un encadrement insuffisant lors des stages. Et on est étonné du nombre de médecins qui faute d’un interrogatoire et d’un examen clinique orientés, multiplie les examens complémentaires inutiles (biologiques et radiologiques) et les prescriptions symptomatiques (un symptôme = un médicament).

La formation à la relation soignant/soigné (à la fois asymétrique et égalitaire) est insuffisante, faute d’une méthode pédagogique appropriée pour cet enseignement. Le manque de temps explique en grande partie le défaut d’écoute, d’éducation thérapeutique des patients (ETP) et de pratique de la décision partagée, mais il sert aussi souvent d’alibi aux insuffisances relationnelles du professionnel.

L’enseignement du raisonnement probabiliste, de la décision en situation d’incertitude, de la lecture critique d’articles, de l’effet placebo/nocebo[1], de la différence entre significativité statistique et pertinence clinique ainsi que de la différence entre corrélation et causalité semble insuffisant.

De même ne sont pas ou peu enseignés l’histoire des scandales sanitaires, les mécanismes de l’erreur médicale et la critique de la communication des industriels de la santé. On ne peut enfin qu’être interpelé à l’heure de l’evidence based medecine (EBM) par le relativisme scientifique de nombreux soignants et le nombre de médecins ou de paramédicaux pratiquant la « patamédecine ».

Une réforme de la formation initiale doit être guidée par les principes suivants :

1)    les critères de sélection choisis pour l’admission des étudiants devraient prendre en compte au moins en partie les qualités requises pour l’exercice du métier,

2)    le rappel de l’importance du compagnonnage favorisant l’intégration au sein d’un service et du tutorat permettant à l’étudiant de choisir son parcours professionnel en fonction de ses qualités et de ses difficultés

3)    une réforme de l’enseignement suppose un changement des modes d’évaluation des étudiants. Dans la mesure où ces derniers  apprennent comment on les évalue, le mode d’évaluation doit se rapprocher de la mise en œuvre  des savoirs en situation d’exercice professionnel.

4)    la motivation, la compétence pédagogique et la disponibilité des enseignants devraient déterminer leur recrutement indépendamment de leurs publications scientifiques (voir chapitre réforme de l’hôpital – les valences hospitalo-universitaires)

 

Recommandation 1 – La programmation des effectifs à former

* Mettre en place des conférences régionales des professions de santé

 

Le nombre d’étudiants à admettre chaque année dans les études de santé doit dépendre de l’évaluation prospective des besoins du pays d’une part par l’observatoire national de la démographie des professions et d’autre part par les rapports de conférences régionales indépendamment de considérations sur les coûts de santé. Les moyens matériels et humains donnés aux universités doivent découler des résultats de cette évaluation et non l’inverse. (Cette proposition est reprise dans le chapitre Accès aux soins)

 

Recommandation 2 – Formation infirmière et médicale

* Revoir les modalités d’admission dans les IFSI et dans les études médicales

Parcours sup ne semble pas adapté à la sélection pour l’entrée dans les études de soins infirmiers. Il ne permet notamment pas d’évaluer la motivation et les valeurs nécessaires à l’exercice du métier de soignant.

 

La réforme de l’entrée dans les études de médecine doit être simplifiée. Elle doit être placée en dérivation des différentes filières universitaires avec un quota en première et deuxième année de licence. Un quota très majoritaire doit être donné aux filières de biologie mais des quotas doivent être réservés à aux sciences humaines et aux formations d’ingénieur. Cela donnerait deux chances à chaque étudiant sans engager les recalés dans une voie sans issue et diversifierait les profils des étudiants en médecine.

Une alternative pourrait être la sélection sur le dossier scolaire des lycéens et leurs résultats au baccalauréat

Dans tous les cas, l’admission doit comporter en plus une épreuve orale portant sur un texte littéraire rapportant un vécu de la maladie ou sur un article grand public ayant trait à la santé.

 

Recommandations 3 – Modalités de formation

* Revoir les objectifs de la formation de base

* Rendre obligatoire un module d’enseignement à la relation soignant-soigné

La formation de base des deux premiers cycles a pour but l’acquisition des compétences communes à tous les médecins quelle que soit leur spécialité ultérieure. Les objectifs de cette formation de base commune doivent être partagés entre médecins généralistes enseignants et médecins spécialistes enseignants. La pédagogie doit s’inspirer de l’apprentissage à la résolution de problèmes et utiliser la simulation. La formation doit comprendre des stages pratiques à plein temps en ville et à l’hôpital avec un programme d’activité personnelle supervisée par un senior.  Un enseignement à la relation soignant-soigné doit être obligatoire dans toutes les facultés de médecine par petits groupes avec des méthodes pédagogiques issues des jeux de rôle à partir de la 3ème année de médecine. Des patients « ressources » (ou « experts ») doivent participer à cet enseignement en intégrant l’équipe enseignante et être rémunérés par la faculté pour ce travail. L’entrée dans le 3ème cycle d’internat suppose la réussite à un examen (non classant) portant sur les savoirs et savoir-faire de base essentiels requis avant d’accéder à des responsabilités thérapeutiques, mais le choix de la spécialité doit se faire principalement ou intégralement sur les résultats de l’évaluation continue au cours des deux premiers cycles (incluant l’implication dans les différents stages en ville et à l’hôpital). La répartition du nombre de postes d’internes par spécialité doit se faire en fonction des besoins régionaux.

 

Recommandation 4 – Filière recherche

* Créer une filière recherche

La création d’une filière recherche au cours des études de médecine et de pharmacie doit comporter des places de double cursus MD-PhD, des années-recherche en 3ème cycle et la création de postes de CCA Recherche. Cette filière,  intégrant de manière renforcée la lecture critique d’articles, les statistiques et l’épidémiologie, et les principes des 4 domaines de la recherche : les recherches fondamentale, translationnelle, clinique et en santé publique est susceptible de mieux préparer aux métiers de la recherche (voir fiche recherche)

  

Recommandation 5 – Modes d’évaluation

* Faire évoluer les modes d’évaluation des étudiants

Les évaluations doivent correspondre autant que possible à des situations proches de situations réelles et porter sur cinq domaines :

1)    le raisonnement médical hypothético-déductif

2)    le savoir-faire de l’examen clinique et des gestes techniques

3)    la pertinence des propositions de prescriptions et d’actes en sanctionnant les prescriptions injustifiées

4)    les qualités relationnelles, l’annonce d’une maladie grave, la pratique de l’entretien motivationnel, l’éducation thérapeutique des patients et de la décision partagée entre médecin et patient

5)    le travail d’équipe, la connaissance du système de santé, la santé communautaire et la santé environnementale.

  

Recommandations 6 - Pluridisciplinarité

* Ouvrir des enseignements partagés entre filières au sein des études de santé

Les facultés de médecine doivent devenir des facultés de santé avec des modules d’enseignement partagés entre les différentes filières professionnelles concernant notamment la prévention, la santé environnementale, la relation soignant/soigné, l’éducation thérapeutique, le service de santé, et les enseignements de sciences humaines en rapport avec la santé (sociologie, anthropologie, philosophie).

 

Recommandations 7 – Formation à la pédagogie

* Créer une valence « enseignement »

Nombreux sont les médecins, les soignants dans les établissements et en ville qui aujourd’hui participent à l’enseignement. La pédagogie mérite d’être enseignée. Créer une valence d’enseignement (distincte des valences soins ou recherche) permettrait de promouvoir pour l’avenir la qualité des formations proposées. Les formations à la maitrise de stage pour les médecins de ville doivent être indemnisées et rester en dehors des quota de formation médicale continue (DPC).

 

2/ Réforme de la formation continue

 Historiquement, les Enseignements post universitaires (EPU) étaient centrés sur la médecine hospitalière tandis que  la formation médicale continue (FMC) se centrait sur les besoins de la médecine ambulatoire et de premiers recours. Cette dernière s’est développée dans les associations locales et nationales dans les années 1970/80 en s’appuyant sur des méthodes pédagogiques centrées sur les apprenants permettant les changements de comportement et l’acquisition de nouveaux savoirs.

Elle n’est financée et indemnisée pour les médecins généralistes qu’à partir des années 1990 par l’assurance maladie et, au gré,  des différentes conventions et recommandations professionnelles s’est transformée progressivement pour devenir le Développement Professionnel Continu (DPC) en vigueur actuellement et géré par l’Agence Nationale du DPC (ANDPC). Parallèlement le fond d’assurance formation des professionnels libéraux finance des formations à partir des cotisations annuelles des libéraux.

La réforme actuelle de « re-certification » des médecins s’inscrit dans un mouvement plus large qui est celui de l’accréditation des hôpitaux et des médecins

La re-certification des médecins comprend au titre de la formation (FMC) non seulement le DPC mais des formations médicales continues variées à savoir les EPU, les diplômes d’université (DU), les congrès, la lecture de la presse médicale mais aussi d’autres démarches de type groupes d’échanges de pratiques entre pairs au sein des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) et toutes les formations non indemnisées et autofinancées par les cotisations des professionnels de santé).

La formation postuniversitaire validante doit impliquer les universités, les sociétés savantes et des organismes professionnels indépendants des industries de la santé. Elle devrait se dérouler préférentiellement sous la forme de séminaires théorico-pratiques durant lesquels les professionnels travaillent en groupe sur :

- la pratique clinique des professionnels dans la « vraie vie » confrontée aux données actualisées de l’Evidence Based Medicine (EBM) et aux données émanant du système national des données de santé (SNDS)

-la relation médecin malade, l’éducation thérapeutique et la décision médicale partagée.

-la prévention, la médecine communautaire, la médecine environnementale, l’organisation du système de soin, le travail en équipe.

- les apports et les limites des nouvelles technologies appliquées à la Santé.

 

Aujourd’hui les seules formations médicales post universitaires indépendantes de l’industrie sont les diplômes universitaires (DU), le Développement professionnel continu (DPC) et le Fond d’Assurance Formation de la profession médicale (FAF-PM) financé par les cotisations des professionnels. Malgré des droits d’inscription élevés pour les étudiants, les DU reçoivent peu de soutien des universités et sont peu intégrés au DPC. Le dispositif DPC est réalisé par des organisations de statut variable, le plus souvent privées. Le système a montré ses limites, impliquant seulement 50% des médecins, pour un nombre de journées de formation très insuffisant et ne débouchant pas sur un véritable processus de re-certification.

Le rapport sur la re-certification (novembre 2018) a évalué à un minimum de 15 jours annuels la durée de formation nécessaire au processus de re-certification (toutes modalités). Malheureusement, le financement et les modalités pratiques d’une telle évolution ne sont pas encore précisés…

A côté de cela de très nombreuses réunions d’enseignement post universitaires sont organisées avec le soutien financier et publicitaire plus ou moins intrusif (et souvent plus que moins) des industries de la santé. Il en va de même de la participation des médecins à des congrès médicaux, en nombre excessif et dont le financement par l’industrie crée des liens de dépendance. Le financement doit passer par des structures de formation médicale continue (FMC) indépendantes.

 

Recommandation 8 – FMC

* Mettre en œuvre une politique ambitieuse de formation médicale continue incluant un processus de re-certification pour la totalité des médecins.

Cette politique devrait associer tous les acteurs : universités, sociétés scientifiques, organismes professionnels au niveau local et national. Cet effort considérable doit être intégralement financé par un fond public bénéficiant d’un pourcentage du montant des dividendes versés aux actionnaires des industries de la santé. 

* Réorganiser les instances du DPC

L’Agence nationale DPC (ANDPC) assure le pilotage, la gestion administrative, le contrôle de conformité des actions et leur évaluation.

 

La finalité du DPC

« La finalité du Développement Professionnel Continu est l’amélioration des pratiques professionnelles et de la qualité des soins, par la mise à jour et le maintien des compétences professionnelles. La compétence est un « savoir agir en situation, adapté aux circonstances et au contexte, et elle s’entretient par l’analyse réflexive des pratiques » (§ 5.5.2, par.1  du Rapport de P. L. Druais, président du Collège de Médecine Générale, à la ministre de la santé, mars 2015).

« Chaque profession doit être co-gestionnaire du cadre qui la concerne » (§ 5.5.2, par. 4 du même rapport).

 

Le dispositif actuel de DPC est extrêmement lourd sur le plan de son organisation et a fait l’objet de critiques sévères (portant sur le contenu pédagogique, le financement et la gouvernance) de la part de la Cour des Comptes en 2019 et du président de son haut conseil lors de sa démission en 2020.

Par ailleurs, le champ de la FMC est ouvert actuellement à tout organisme extra-professionnel, en raison de la directive européenne Bolkestein de 2006, applicable depuis 2009, ce qui permet à diverses officines de type commercial de bénéficier des fonds dévolus à la FMC, au détriment des organismes formateurs émanant des professionnels de santé.

 Proposition de modifications

La mise en œuvre prochaine de la re-certification est l’occasion d’initier un certain nombre de modifications.

La FMC doit correspondre aux besoins des professionnels de santé que l’on peut classer pour les médecins généralistes en 5 niveaux :

-        1° niveau : soins de premier recours

-        2° niveau : coordination d avec les autres professionnels de santé

-        3° niveau : prévention et accompagnement des populations/approches populationnelles (ex : saturnisme infantile) et déterminants de santé sur le territoire, santé environnementale.

-        4° niveau : veille sanitaire (prévention, dépistage, participation à la réponse aux crises sanitaires …)

-        5° niveau : recherche en santé publique et en médecine générale

 

Recommandation 9 - FMC

* Mettre en œuvre une politique de FMC adaptée aux spécificités de chaque discipline.

Le Collège de Médecine Générale a pris position en faveur du principe d’une « co-gestion[2] par chaque profession du cadre de DPC qui la concerne »

 Recommandation 10 - FMC

* Restructurer le dispositif en distinguant la gestion financière et la validation scientifique et pédagogique des formations.

 Recommandation 11 - FMC

* Confier la validation scientifique et le contrôle pédagogique des actions de formation aux conseils nationaux professionnels (CNP)

 

 



[1] L’effet placebo/nocebo est l’effet perçu positivement ou négativement (et parfois mesurable) lors de la prise d’un pseudo-médicament ne comportant aucun principe actif (glucose ou mie de pain). Cet effet objectif s’explique par la croyance du patient en l’effet du pseudo-médicament, stimulant la « chimie cérébrale » : endorphine, dopamine…). L’importance de cet effet et de sa médiation biologique est variable selon les personnes.

[2] Cette co-gestion s’entend entre financeurs et professionnels de santé.